La tapisserie haute lisse est le médium d’expression que j’ai toujours privilégié. Elle est un art de synthèse qui, puisant dans ses racines et ne reniant pas sa matérialité, évolue au plan esthétique en accord avec les préoccupations actuelles de l’art. La tapisserie, patiemment construite, crée son propre espace, explore un langage qui lui est spécifique et s’inscrit dans le temps qui reste.
Elle est l’œuvre de l’intimité, œuvre lente dans un monde trop pressé.
À plusieurs reprises, j’ai questionné le sens de mon travail en tissage à une époque qui fait l’éloge du virtuel, qui privilégie l’instantanéité et le discours sur la matière. Dans ce contexte, choisir de concevoir et de fabriquer c’est donner prépondérance à la matière, au corps et à la proximité. C’est s’inscrire dans le temps ainsi que dans un espace spécifique. Le geste immuable du tissage me situe dans la continuité, dans le fil du temps.
Au cours des années, je me suis interrogée, à travers la tapisserie, sur notre rapport au textile et le rôle que ce dernier est appelé à jouer à divers moments de notre existence. Tisser est en quelque sorte mon ancrage. Ce geste participe à ma quête de sens et les œuvres qui en résultent témoignent des évènements qui façonnent ma vie.
Ces dernières années, j’ai vécu et séjourné à de multiples reprises au Maroc. Les réflexions et les inspirations issues de cette expérience ont enrichi mon imaginaire. Ma récente démarche de création intègre ma relation avec la culture marocaine résultant de mon travail et de ma vie avec les artisans et les femmes de ce pays. Par le geste répétitif et immuable du tissage nait une affiliation avec les femmes marocaines. Le textile porte en ses fibres la synthèse de savoirs millénaires transmis de génération en génération, mais aussi, d’une culture à une autre, d’une femme à une autre.
Mes récentes tapisseries s’inspirent et se définissent par le rapport à la culture marocaine et à celle des femmes qui y habitent. Je choisis l’abstraction à laquelle j’intègre des éléments figuratifs pour livrer une émotion liée à la rencontre de cette culture qui m’était étrangère et au regard que je pose sur l’autre. Ainsi ma palette chromatique s’élargit en intégrant davantage des couleurs chaudes. Les thèmes que j’aborde se transforment en intégrant des éléments architecturaux et des éléments symboliques se référant à la condition et à l’univers de la femme. À titre d’exemple, dans certaines compositions, l’intégration de portes témoigne de la réalité singulière de la femme, conjuguée et partagée entre le privé et le public, le permis et l’interdit.